vendredi 20 mai 2016

Famine, Partie 2



Et voilà la suite promise de la nouvelle Famine, je vous ai fait attendre, mais elle est enfin là ! La faute en est aux études et à tous les livres de politique que je dois lire... Et autant vous dire que ceux-là, je ne vous les présenterai pas !


Famine, Partie 2

 
    Mes parents n’eurent plus de quoi nous nourrir convenablement. Tandis que certains émigraient vers l’Angleterre, le Canada, les États-Unis ou l’Écosse, ma famille refusait d’abandonner ses terres et de s’enfuir. Ils voulaient rester, résister face à la mort, quelque soit le résultat. Il fallait garder les terres de nos ancêtres. Ce choix me ravissait : j’aurais préféré mourir que quitter cet endroit. J’étais persuadée que je ne pourrais pas survivre loin de lui.
   Un soir alors que le ciel se teintait de merveilleuses couleurs,  je rentrai trempée de l’une de mes escapades pour manger le peu que nous avions à dîner, sans me douter de ce qui se tramait. L’air sombre de mes parents ne m’avait pas surprise, puisqu’il semblait désormais gravé sur leurs traits. Mais lorsque mon père ouvrit la bouche, je sentis que quelque chose était anormal.
            - Alice, ta mère et moi devons te parler. C’est très important.
   Je fronçai les sourcils, soudain inquiète.
            - Tu vas aller vivre pendant quelque temps chez ma sœur à Dublin, reprit-il.
            - Non ! m’écriai-je. Jamais je ne partirai, je ne peux pas, j’en mourrai !
            - Calme-toi, tenta de m’apaiser ma mère. Tu dois être courageuse. La situation de tout le pays est dure. Nous ne pouvons plus te nourrir, veux-tu mourir de faim et nous faire mourir avec toi ? Ta tante est mariée à un homme très riche et égoïste. Il refuse de nous prêter de l’argent. Tu peux aller là-bas, mais c’est tout ce que ta tante a pu obtenir. Tu seras bien nourrie et nous aurons plus à manger de notre côté. Tu dois…
            - Non ! hurlai-je. Je refuse ! Je resterai, même si je dois y laisser ma vie !
           - Cesse donc tes enfantillages ! gronda mon père. Il ne s’agit pas que de tes petits caprices mais de nos vies à tous trois. Tu n’as pas le droit d’être égoïste au point de nous condamner ! Nous sommes pauvres et nous ne pouvons plus manger. S’il y avait eu une autre solution nous l’aurions choisie, mais celle-ci est la seule que nous ayons trouvée pour l’instant.
   Je renonçai à me faire entendre et voulus filer dehors mais mon père m’attrapa par le bras et m’empêcha de sortir.
            - Tu restes ici. Je ne compte pas te laisser faire n’importe quoi.
   Comme il bloquait la sortie, je résolus de monter dans ma chambre en courant. Je passai ma soirée allongée sur mon lit à pleurer. Je ne pouvais abandonner mon Connemara.

   Pourtant, on ne me laissa pas le choix et je fus envoyée de force vivre chez ma tante. La ville était trop grande et peuplée à mon goût, moi qui étais habituée à un voisinage très restreint. En effet, nos plus proches voisins habitaient à quatre miles, et ce n’était qu’une simple ferme.
    Je n’aimais pas cet endroit. Ma tante faisait tout son possible pour me rendre heureuse, bien que ce fut peine perdue. Je passais mes journées enfermée dans la chambre qu’ils m’avaient attribuée. Je ne sortais pas de mon lit, refusais la nourriture, la compagnie et fuyais la moindre lumière. Il m’arrivait souvent de pleurer, même si je le cachais de mon mieux, par fierté, je suppose.
   Je finis par sortir de ma chambre, ce qui ravit ma tante mais pas son époux. Il ne supportait pas ma vue, même durant le peu de temps qu’il passait à la maison. Il me trouvait d’une nature beaucoup trop sauvage, disait que j’étais mal élevée et qu’il avait sous son toit la honte de la famille. Il est vrai que mon caractère déjà difficile était pire que d’habitude. J’étais devenue insupportable, détestable, invivable. Je dois reconnaître que ma tante était gentille mais bien trop douce, calme, posée, sage et sérieuse à mon goût. Bref, c’était quelqu’un de fade. Elle me força à sortir quelques fois dans la ville, désireuse de me voir prendre un peu l’air. Je faisais tout mon possible pour écourter ces promenades. Je lui faisais du mal rien qu’en pleurant mais n’en éprouvais pas de remords. Peut-être cela la pousserait-elle à me renvoyer chez moi, mais j’en doutais. 

   Au bout de trois mois, ma tante tomba gravement malade et le mal eut raison d’elle en seulement deux semaines. Mon cœur endurci en fut un peu touché, mais le sentiment qui prédomina à ce moment-là fut tout autre que le chagrin. Son mari allait à coup sûr me réexpédier chez mes parents et je reverrai enfin mon Connemara. L’espérance planta ses graines dans mon cœur aride. Lorsque je fus certaine de retourner chez moi, je sentis des bourgeons prêts à éclore dans ce cœur. Mais lorsque j’arrivais enfin dans mon Connemara, j’eus la sensation qu’une centaine de fleurs poussaient dans ma poitrine, éclairant mes traits d’une joie intense. Je l’avais retrouvé. Il était là, sous mes yeux, plus beau encore que dans mon souvenir. Je bondis de joie en posant le pied dans la plaine.
   Mes parents ne furent pas ravis de me revoir, comme je l’avais imaginé. Ils se torturaient l’esprit afin de trouver une solution. Je les trouvais d’ailleurs très amaigris. Le contraste entre les conditions de vie ici  et celles de mon oncle à Dublin me frappa tout autant que l’égoïsme du veuf. Nous n’avions rien à manger. Je refusais de rester à la maison le jour car je sentais la fin proche. Il me fallait profiter de mon Connemara au maximum tant qu’il en était encore temps. Car je ne savais rien de la sensation que me procureraient mes pieds foulant le sol, mes cheveux dans le vent, la pluie sur mon visage, une fois morte. Tout cela m’était inconnu. En revanche, j’étais persuadée que je reviendrais hanter ces contrées pour l’éternité. 

   Un soir je rentrais pour dîner et fus étonnée de trouver là un jeune homme discutant avec mon père dans le salon. Il semblait riche car il était très bien vêtu et pas maigre comme mes parents. Quant à moi, les deux semaines depuis mon retour n’avaient pas suffi à me transformer en squelette mais m’avaient beaucoup amincie. Il leva les yeux vers moi et m’observa attentivement avant de sourire d’une façon insupportable qui révélait une assurance et une arrogance insoutenables, comme si je lui appartenais. Il avait un fort beau visage gâté par l’orgueil, l’air désagréable mais bien élevé et arborait ce stupide petit sourire, à la fois mauvais et fier. Je vis au premier regard qu’il était mon contraire. Je devinais qu’il était très ennuyeux et sérieux, le genre de personne qui passe tout son temps à se vanter de sa réussite professionnelle et qui ne daigne sourire que pour se moquer.
            - Alice, voilà monsieur Davy McCann, m’informa mon père.
            - Ravie de vous rencontrer, lançai-je d’un ton ironique et insolent démontrant que je pensais tout le contraire.
            - Monsieur, voici ma fille, Alice, me présenta mon père en me fusillant du regard.
            - Mademoiselle, me salua McCann en s’emparant de ma main, vous n’imaginez pas la joie que j’éprouve à vous revoir.
   Il embrassa ma main, puis la relâcha à contrecœur. Je regrettais amèrement de ne pas avoir porté de gants. La beauté ne suffit pas à rendre une personne sympathique, il en était la preuve vivante.
            - Elle l’est aussi, lui assura mon père, gêné par mon comportement glacial.
   Je le gratifiai d’un regard mauvais. Je n’avais pas à plaire à cet inconnu ! L’intrus ne se laissa pas convaincre.
            - En effet, elle semble réellement enchantée, répliqua-t-il, amusé.
   Je laissai échapper un petit rire et le fixai avec mépris. Il se croyait supérieur à nous grâce à son argent, cela se voyait bien. Voilà un comportement qui méritait une petite leçon, non ?
            - J’ai oublié quelque chose, mentit mon père, je reviens. Alice, tiens compagnie à notre invité.
            - Avec joie, lâchai-je, de nouveau ironique.
   Il sortit en ignorant royalement mon air dégoûté.
            - Je pense que vous ne m’aimez pas beaucoup, en déduisit McCann une fois mon père parti.
            - Et vous avez raison.                                         
            - Vous changerez d’avis, vous verrez. Venez donc vous promener avec moi dans cette si belle plaine.
            - Je n’aime pas être accompagnée. Quant à mon avis, ne vous faîtes pas d’illusions : je suis très têtue. Je ne vous donnerai qu’un conseil : ne vous fatiguez pas en vain, restez loin de moi. Ce sera mieux pour tout le monde.
            - Très bien, restons à l’intérieur. Après tout, je peux bien me permettre d’être généreux. Nous serons mariés d’ici peu, me provoqua-t-il en ignorant mon conseil.
            - Pardon ? m’exclamai-je. C’est impossible…je…je n’ai rien accepté…je ne veux pas être votre femme !
            - Vos parents n’ont plus assez d’argent pour vivre et pour vous faire vivre, et je peux tous vous sauver de la mort. J’ai beaucoup d’argent vous savez et…
            - Je n’ai que faire de votre argent ! explosai-je. Je ne vous aime pas plus que je vous connais. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi vous êtes heureux de me revoir alors que je ne vous ai jamais rencontré !
            - Je vous ai déjà vue à Dublin. L’un de ces après-midi où vous étiez sortie avec votre tante. Je ne vous connais pas non plus très bien. Nous n’avons qu’à faire connaissance.
            - Non ! Je ne veux pas vous revoir, disparaissez !
            - Ne soyez pas stupide ! Je suis idéal pour vous. Je suis riche et séduisant, nous ferions un couple magnifique !
            - Et c’est qu’il est humble en plus ! grognai-je. Taisez-vous !
            - Mademoiselle…Alice, je vous aime.
            - Faux !
            - Comment pouvez-vous affirmer cela ? me demanda-t-il.
            - Parce que vous ne me connaissez même pas !
            - Mais je le sais depuis que je vous ai vue. Vous êtes si belle…
            - J’en ai assez entendu ! grondai-je en bondissant vers la porte.
   Il s’interposa et m’empêcha de passer.
            - De toute façon vos parents sont d’accord et la date du mariage est déjà fixée au le mois prochain. Ils n’ont plus rien à manger. Si vous ne m’épousez pas, vous mourrez tous les trois. Leurs vies sont entre vos mains… Pensez-vous avoir le droit de laisser mourir vos parents ?
            - Jamais je ne ferai la bêtise de vous épouser ! Jamais, m’entendez-vous ? Je ne vous aime pas, je ne partirai pas avec vous ! C’est hors de question ! Plutôt mourir !
            - Sauf qu’il ne s’agit pas là que de votre vie mais aussi de celle de vos parents. Etes-vous à ce point égoïste et moi à ce point repoussant ? Toutes les femmes de Dublin me courent après et vous, vous me fuyez ? Pourquoi ?
            - Parce que je ne vous aime pas ! Combien de fois devrai-je encore vous le dire ? Etes-vous stupide au point de ne pas comprendre lorsque l’on vous parle ? braillai-je en fonçant vers l’autre porte.
   McCann attrapa mon bras avant que j’aie pu m’enfuir. Ce membre me portait décidément malheur.
            - Alice…vous avez le choix entre le jour et la nuit éternelle, entre aimer ou tuer.
           - Partez le plus loin possible et lâchez-moi sur le champ ! lui ordonnai-je, débordante de haine.
   Mon animosité à son égard était telle qu’il fut déstabilisé quelques instants et desserra sa poigne. J’en profitai pour m’éclipser en quatrième vitesse dans ma chambre.



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